UNE PIÈCE MONTÉE
Roman de Blandine Le Callet (2006)
Prix Edmée de La Rochefoucauld
Prix René Fallet
Livres de Blandine Le Callet déjà lus : aucun
Quatrième de couverture :
La pièce montée arrive, sur un plateau immense porté par deux serveurs.
Vincent voit osciller au rythme de leur marche cette tour de Babel en
choux à la crème, surmontée du traditionnel couple de mariés. Il se dit
: C'est moi, ce petit bonhomme, tout en haut. C'est moi. Il se demande
qui a pu inventer un gâteau aussi ridicule. Cette pyramide grotesque
ponctuée de petits grains de sucre argentés, de feuilles de pain azyme
vert pistache et de roses en pâte d'amandes, cette monstruosité
pâtissière sur son socle de nougatine. Et ce couple de mariés perché au
sommet, qu'est-ce qu'il symbolise, au juste ? B. L. C.
Mon avis :
Le premier roman de Blandine Le Callet nous invite au mariage de Bérangère et Vincent. Pour y accéder, nous passerons par les regards successifs d'une petite fille, du prêtre, de la grand-mère, de la belle-soeur (et mère de la petite fille), de la soeur marginale, de l'oncle, du mari, de l'invité incongru et de la mariée. Tous ces personnages convergent en une réunion sur laquelle ils auront des avis différents. À travers la succession des personnages, l'auteure fait défiler le déroulement de la cérémonie et de la noce. Cette technique nous permet d'aborder certains événements ou personnages sous différents aspects, comme celui de la mariée qui nous apparaît à la fois capricieuse aux yeux de son mari, et attentionnée auprès de sa grand-mère. Cette façon de raconter une histoire s'inspire du cinéma, notamment des films de Paul Thomas Anderson et Alejandro Gonzalez Iñarritu. Si le procédé peut paraître un peu factice, et pourrait pallier une absence de réelle intrigue, Le Callet l'utilise surtout afin d'étoffer le fond de son roman.
Car l'intérêt d'Une pièce montée, c'est évidemment la mise à nu de tous les travers de la bourgeoisie française. Si les privilèges sont officiellement tombés grâce à la Révolution, restent des valeurs surannées qui figent cette caste dans un anachronisme moral. La tolérance aux minorités a ses limites, qu'elle soit à l'égard des handicapés, des homosexuels, des gens issus de la classe ouvrière ou des originaux. Le personnage de Bérangère, la nouvelle épouse, incarne en particulier cette bourgeoisie qui, même si elle semble adaptée au monde moderne et à l'évolution des moeurs, n'en garde pas moins un sentiment de rejet envers une petite fille trisomique, considère qu'une soeur trentenaire et célibataire est un cas désespéré, voire une honte pour la famille, et admire paradoxalement le passé marginal d'une grand-mère devenu acariâtre. Car le paradoxe semble être le point commun entre tous ces personnages. Les couples restent unis même s'ils ne se supportent plus, les plus affranchis tiennent à gagner le consentement de leurs parents, les plus cyniques se parent de romantisme et les plus coincés sont les plus amènes à compatir. La bourgeoisie est constamment en représentation, vie dans un monde d'apparence. Et cette idée est concentrée dans le titre du roman. Si Une pièce montée évoque évidemment le gâteau traditionnel de tout bon mariage qui se respecte, elle fait référence aussi à la vision que Bérangère a de son propre mariage : "Ça doit être le plus beau jour de notre vie. C'est comme un spectacle,
tu comprends ? Une pièce de théâtre. Nous sommes les personnages
principaux, et les invités sont à la fois figurants et spectateurs." Difficile dans ce cas-là de trouver le romantisme et l'amour qui devraient être à l'origine de cette journée particulière.
Ils en parlent aussi : Amanda Caro[line] Choupynette Gaëlle Gambadou Sybilline Thom
Premières lignes :
Pauline
Elle a bien cru qu'on n'y arriverait jamais. Le voyage a été terrible. Elle n'aime pas la nouvelle voiture de papa, à cause de l'odeur du cuir. Elle a failli être malade. Mais on s'habitue, au bout d'un moment.
Les parents n'ont pas arrêté de se disputer. Pas une grosse dispute. Jamais de grosse dispute. Très peu de mots, quelques phrases, sans crier. Ca a duré des heures, tout le temps du voyage, en fait. Elle n'est pas idiote ; elle sait que la dispute a commencé bien avant le départ de Sceaux. On peut dire que ça fait plusieurs semaines, et même plusieurs mois.