LA GRAMMAIRE EST UNE CHANSON DOUCE
Roman d'Erik Orsenna (2001)
Livres d'Erik Orsenna déjà lus : aucun
Quatrième de couverture :
Jeanne, la narratrice, pourrait être la petite soeur d'Alice,
précipitée dans un monde où les repères familiers sont bouleversés.
Avec son frère aîné, Thomas, elle voyage beaucoup. Un jour leur bateau
fait naufrage et, seuls rescapés, ils échouent miraculeusement sur une
île inconnue. Mais la tempête les avait tant secoués qu'elle les avait
vidés de leurs mots, privés de parole. Accueillis par Monsieur Henri,
un musicien poète et charmeur, ils découvriront un territoire magique
où les mots mènent leur vie : ils se déguisent, se maquillent, se
marient.
Mon avis :
Y'a-t-il un âge pour les contes? A priori je vous aurais répondu illico par la négative. C'est pourtant la question que je me suis posée après avoir fini la lecture de ce petit roman d'Orsenna. Dans ce livre, l'auteur académicien, amoureux avéré de la langue française, imagine une île sur laquelle les mots seraient des entités à part entière, dont le rôle est de servir à la communication des hommes. Les mots ont leur propre ville, leurs propres coutumes ou façons d'interagir entre eux. En gros, la grammaire est la décision des mots eux-même, et non de l'homme. C'est sur cette île qu'échouent Jeanne et Thomas, enfants ballotés entre deux parents divorcés qui les obligent à traverser l'Atlantique à chaque vacances. Arrivés sur l'île, ils se rendent compte qu'ils ont perdu la parole, et Monsieur Henri, le maître des lieux, va les aider à la recouvrer. Il y a du bon dans ce conte moderne, comme le personnage de la nommeuse, dont le rôle est de faire vivre les mots oubliés, la dénonciation du jargon grammatico-pointu dont on assène la tête de nos pauvres élèves, ou même l'intention de mêler la grammaire au conte était en soi une bonne idée de base. Seulement le tout nous donne un texte qui manque de cohérence (si l'île n'est pas française, comment se fait-il que les règles de vie des mots ne s'appliquent qu'à notre langue?), oubliant l'intrigue pour placer de nombreuses références pompeuses. Si le sentiment de perte est délicieux dans Alice au pays des merveilles, auquel La grammaire est une chanson douce vole le voyage (apparemment) sans queue ni tête, il en devient désagréable ici, car la succession des épisodes relève plus du catalogue des bonnes idées qu'Orsenna croit avoir, que du cheminement onirique. Sa façon de faire vivre les mots n'est en soi pas une idée idiote, mais l'auteur aurait gagné à creuser le sujet et à étoffer le coeur même du conte plutôt que de faire un clin d'oeil à son copain Henri Salvador, ou de citer Saint-Exupéry, Proust et La Fontaine comme seuls grands écrivains méritant leur place sur l'île. Pour une tentative de moderniser l'approche de la grammaire, ce livre garde quand même des odeurs de suranné. Car vouloir montrer que la langue française vit encore sans faire allusion à un seul écrivain français encore vivant, cela relève de l'absurdité totale. Enfin si, il y a bien le personnage de Monsieur Henri (Salvador), mais disons que comme synonyme de modernité, on a vu mieux.
Finalement, il n'y a pas d'âge pour les contes. Il est juste difficile d'en trouver qui n'essaient pas de coller à une certaine image du conte d'autrefois. Alice au pays des merveilles fut publié en 1865, et m'apparaît comme deux fois plus moderne que l'oeuvre d'Orsenna. N'est pas Raymond Queneau qui veut!
Elles en parlent aussi : Jules Katell Laurence de Biblioblog
Premières lignes :
Méfiez-vous de moi!
Je parais douce, timide, rêveuse et petite pour mes dix ans. N'en profitez pas pour m'attaquer. Je sais me défendre. Mes parents (qu'ils soient remerciés dans les siècles des siècles!) m'ont fait cadeau du plus utile car du plus guerrier des prénoms : Jeanne. Jeanne comme Jeanne d'Arc, la bergère devenue général, la terreur des Anglais. Ou cette autre Jeanne, baptisée Hachette, car elle n'aimait rien tant que découper en tranches ses ennemis.
Pour ne citer que les plus connues des Jeanne.
Mon grand frère Thomas (quatorze ans) se le tient pour dit. Il a beau appartenir à une race globalement malfaisante (les garçons), il a bien été forcé d'apprendre à me respecter.
Cela dit, je suis au fond ce que je parais en surface : douce, timide et rêveuse. Même quand la vie se fait cruelle. Vous allez pouvoit en juger.