LE CARNET ROUGE (The Red Notebook)
Nouvelles de Paul Auster (1993)
Livres de Paul Auster déjà lus : Moon Palace (1990)
Quatrième de couverture :
Le carnet rouge existe bel et bien. Depuis des années, Paul Auster y consigne des événements bizarres, coïncidences, étrangetés et autres invraisemblances dont il fut un jour victime, confident ou témoin. En anecdotes de quelques pages, parfois seulement de quelques paragraphes, on peut y lire treize nouvelles archibrèves où il se révèle un collectionneur passionné (et un rien inquiet) des bons et mauvais tours que lui a réservés la réalité.
Mon avis :
Etrange objet que ce petit "carnet rouge", car il ne rentre dans aucune catégorie littéraire, et pourtant il s'apparente à toutes. La forme de petites histoires nous amène à songer à des nouvelles, mais le contenu n'est pas le fruit de l'imagination de l'auteur. On ne peut non plus parler de journal intime, car les événements reportés ne sont pas datés, et le livre ne fait l'objet d'un suivi régulier de la vie de l'auteur. Le carnet contient en fait quelques histoires qui ont inspiré Paul Auster, et plutôt significatives de la "musique du hasard", de son monde régi par les coïncidences et les signes qui relient les êtres humains entre eux. Finalement, le genre le plus adéquat auquel pourrait coller Le Carnet rouge, c'est le brouillon. Et encore, pas vraiment, puisque ces histoires ne sont aucunement l'amorce d'un nouveau roman. En fait, ce sont justes des notes. Des notes qui nous font sourire, car si on y réfléchit bien, nous sommes tous victimes ou témoins de heureux hasards ou de circonstances suspectes. Combien de fois avez-vous entendu une chanson au moment où vous y pensiez? Ou de recevoir un appel de la personne que vous étiez sur le point de joindre vous-même? Ce sont de petits incidents qu'on n'oublie bien vite. Paul Auster, lui, non seulement s'en souvient, mais en a fait le terreau qui nourrit toute son oeuvre.
Ce qui est dommage, c'est qu'on est en droit de se demander quelle est la légitimité de la publication d'un tel ouvrage. Ces anecdotes, aussi plaisantes à lire soient-elles, n'en laissent pas moins le lecteur sur sa fin, arrivé au terme des 62 pages que contient le recueil. On aurait préféré lire soient de vraies nouvelles travaillées à partir de ce matériau, soit avoir de plus nombreux exemples des coïncidences qui entourent l'écrivain. Mais là, 62 pages, faut avouer que ça fait un peu radin, tout de même! Ces pages auraient trouvé une meilleure place insérées en tant qu"anecdotes au sein d'une autobiographie que Paul Auster nous livrera sûrement tôt ou tard. Ici elle ne sont juste que l'occasion de combler un vide entre deux romans, Et en cela le livre perd un peu de sa valeur.
Il en parle aussi : Nicolas
Premières lignes :
En 1972, une de mes amies a eu des difficultés avec la loi. Elle vivait en Irlande, cette année-là, dans un petit village non loin de la ville de Sligo. Il se fait que je me trouvais là, en visite, le jour où s'est présenté chez elle le policier en civil qui venait l'assigner à comparaître devant un tribunal. L'accusation était assez grave pour nécessiter un avocat. Mon amie s'est renseignée, on lui a cité un nom, et le lendemain matin nous sommes allés en ville à bicyclette afin de rencontrer ce juriste et de lui parler de l'affaire. À mon étonnement, il travaillait pour un cabinet intitulé ARGUE AND PHIBBS*.
Ceci est une histoire vraie. S'il en est qui ne me croient pas, ils n'ont qu'à se rendre à Sligo et voir par eux-mêmes si je l'ai inventée ou non. Depuis vingt ans, cette appellation me met en joie, et bien que je puisse prouver qu'Argue et Phibbs existaient réellement, le fait que leurs deux noms aient été accouplés (formant ainsi une plaisanterie encore plus délectable, une parfait mise en boîte de la profession légale) est une chose que j'ai encore de la peine à croire.
D'après mes dernières informations (datant de trois ou quatre ans), cette firme continue de prospérer.
* To argue signifie discuter, argumenter ; les fibs sont de petits mensonges, de petites blagues - comme si un cabinet français s'intitulait CRAQUES ET ARGUS (N.d.T.)