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La tête dans les pages
2 janvier 2008

ACHILLE AU PIED LÉGER (Achille piè veloce)

AchilleRoman de Stefano Benni (2003)
Livres de Stefano Benni déjà lus : Le Bar sous la mer (1997), Saltatempo (2001)

Quatrième de couverture :
Ulysse, auteur en mal d'inspiration, travaille dans une petite maison d'édition du nom de Forge qui, face à une concurrence de plus en plus déchaînée, est menacée de perdre son âme. Frappé par des accès de sommeil impromptus et poursuivi, jusque dans ses rêves, par les auteurs des manuscrits qu'il doit lire, il se réfugie dans son amour pour Pilar-Pénélope, une BTLSPS (beauté typiquement latino sans permis de séjour), mais cède également volontiers aux avances des sirènes telles que Circé, secrétaire du directeur de la maison d'édition...
C'est alors qu'Ulysse reçoit un étrange courriel provenant d'un certain Achille, qui souhaiterait lui parler. Intrigué, il accepte et découvre, au fin fond d'un palais bourgeois, un jeune homme cloué à vie dans un fauteuil roulant. Une amitié hors du commun naît entre eux ; elle bouleversera leurs existences.

Mon avis :

Stefano Benni regroupe à lui seul toutes les images que l'on peut avoir de l'Italie. Il allie à la fois la culture classique et le roman moderne, la richesse d'une ancienne aristocratie et la générosité du peuple italien. Ca chuchote en ciselé et ça gouaille à tue-tête, ça nous raconte des histoires banales et des épopées extraordinaires. Dans Achille au pied léger, on retrouve un peu de tout ça, et plus encore. Benni crée avec Ulysse un anti-héros dépassé par les événements, mais qui n'a d'autre choix que de les affronter, à l'instar de son homonyme antique. Le monde dans lequel vit Ulysse est angoissant, oppressant, significatif d'une certaine Italie encore récente, menée sous l'égide de Berlusconi, qui n'est jamais cité ouvertement mais dont l'aura pèse sur le contexte : vagues de licenciements massifs, expulsion de sans-papiers, industrialisation à outrance de l'art, valeur suprême de l'argent... Sans accusation explicite, Benni écrit un pamphlet contre une Italie qu'il refuse, qui tue sa propre culture à petit feu. En employant les patronymes des héros mythologiques, l'auteur invoque la grandeur culturelle de ce pays comme arme contre un système capitaliste qui fait honte à son passé.resize
Mais Achille au pied léger, c'est avant tout une histoire. Celle d'un écrivain qui a bien du mal à gérer sa vie, vie qui va être bouleversée quand entre en scène le personnage d'Achille, sorte de monstre tapi dans sa chambre tel un ermite au ban de la société. La rencontre entre les deux personnages évoque celle de Jonathan Harker et de Dracula, mais également la découverte de John Merrick dans Elephant Man. Achille ne peut pas marcher, souffre de multiples difformités physiques et d'une maladie incurable, mais il est aussi doté d'une intelligence hors du commun et d'un cynisme à toute épreuve. Achille propose un marché à Ulysse : si celui-ci lui raconte tout ce qu'il veut savoir en détail, il lui écrira le livre qu'Ulysse ne parvient pas à écrire. Naît alors entre les deux une relation fondée sur la sincérité et l'humour, mais aussi sur la perversité et la souffrance. Des échanges entre les deux hommes naîtra une complicité inattendue, qui prend la dimension d'une parabole sur le respect d'autrui et de la vanité de se fier aux apparences. On peut voir dans le personnage d'Achille un symbole de la création de l'artiste. Ulysse étant sujet à des phases de sommeil aussi fréquentes que subites, n'a-t-il pas rêvé Achille? Dans ce cas-là, leur relation prend une dimension métaphorique de l'artiste affrontant son monstre intérieur pour pouvoir écrire un livre, LE livre. Car dans le monde de Stefano Benni, une oeuvre se doit d'être comme une amitié : entère, sans compromis ni mensonge.
Malgré ces thèmes graves, il ne faut pas oublier la légèreté de ton de l'auteur, l'art avec lequel il dissémine la folie et le fantastique dans son monde oppressant. Spécialiste de la situation grotesque et absurde, Benni amène avec plaisir ses personnages dans des situations aussi loufoques que poétiques, comme Ulysse victime d'un hold-up de la part des auteurs imaginés des manuscrits dont il a la charge (il se fait ligoter tel Gulliver par les Lilliputiens), ou un concours de danseuses exotiques aussi hilarant que pathétique. Benni continue à nous surprendre, à trimballer son lecteur dans une Italie à la fois si familière et inédite à chaque roman. Giovanna, grazie mille per la scoperta di questo scrittore!

Premières lignes :
L'homme aux livres sous le bras sortit de chez lui, et le monde n'était plus là.
Il regarda mieux et vit qu'il y était encore, mais un épais brouillard le cachait, peut-être pour le sauver d'un danger. C'était le monde de tous les jours, et l'homme en vit quelques détails à ses pieds : une fissure sur le trottoir, un lambeau de plate-bande, une feuille, morte pour le poète, palminervée pour les botanistes, à balayer pour les employés municipaux. Puis lui apparurent le tronc d'un arbre, le squelette sans roues d'une bicyclette et une lumière jaune, de l'autre côté de la rue.
Il se dirigea vers celle-ci.
Il aspira une bouffée de brise humide matinale, inhalant azote, oxygène, argon, xénon & radon, vapeur d'eau, monoxyde de carbone, dioxyde d'azote, plomb tétraéthyle, benzène, particules de carbonates et silicates, quelques spores de champignons, une escadrille de bactéries, un poil d'origine inconnue, un ectoparasite de pigeon, des pollens anémophiles, une goutte d'anhydride sulfureux et un grain de sable en provenance de Tevtikiye (Nord-Ouest de la Turquie) transporté par le sirocco de la nuit.

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Commentaires
G
Même pas! La plupart du temps, on me demande la différence entre le Robert et le Larousse, et quelle édition est meilleure en ce qui concerne les annales de Bac STT en Maths! J'ai rarement l'occasion de vraiment "conseiller" un livre. D'ailleurs, heureusement, parce que ma verve écrite se pointe rarement sur le bout de ma langue, et c'est souvent une catastrophe quand j'essaie de parler d'un livre. Je crois que les gens partent avec parce qu'ils ont peur de me vexer. Mais bizarrement, je ne les revois jamais!<br /> Pour Sepulveda, moi non plus, je n'aime pas trop, c'est pourquoi tu ne devrais pas "sauter" ce passage.
G
Dis-moi, en ce moment tu t'es lancé dans un défi de lecture (comme à peu près 80% de la blogosphère littéraire) où tu dois lire uniquement des auteurs dont les noms finissent par des voyelles ? :D<br /> Trève de plaisanterie. Je n'accroche pas trop à Sepulverda donc je l'ai sauté, je reviendrai lire plus tard. En revanche et même si je n'ai jamais lu de roman de Stefano Benni, ton billet m'a convaincue et séduite. Il est excellent, comme d'hab. Dur de résister ensuite aux livres dont tu parles !<br /> Dis-moi, à ton travail, tu es chargé des argumentaires de vente ? non parce que si c'est le cas ils doivent être super contents de toi !
G
Je t'en prie, cède à la tentation!<br /> Bonne année 2008 à toi aussi, et plein de bonnes choses!!!
Y
Un roman très tentant vraiment et tant que j'y suis je te souhaite une très bonne année 2008 Gael, pleine de belles lectures et de toutes sortes de belles choses ;-)
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