Roman de Yasmina Khadra (2010)
Romans de Yasmina Khadra déjà lus : aucun
Quatrième de couverture :
L'Olympe des Infortunes est un terrain vague coincé entre une décharge publique et la mer, où se décomposent au soleil des dieux déchus. Il y a Ach le Borgne, qui sait mieux que personne magnifier les clochards ; Junior le Simplet ; Mama la Fantomatique : le Pacha et sa cour de soûlards, et bien d'autres personnages encore, aussi obscurs qu'attachants. C'est un pays de mirages et de grande solitude où toutes les hontes sont bues comme sont tus les plus terribles secrets.
Mon avis :
Je me souviens avoir écrit dans ces pages que j'avais l'impression d'avoir lu L'Attentat de Yasmina Khadra tellement j'avais lu d'avis sur ce roman. Voilà pourquoi je voulais attendre un moment que la frénésie Khadra se dissipe un peu, pour pouvoir appréhender cet auteur, vierge de tout a priori. C'est finalement avec ce roman, L'Olympe des Infortunes, et un peu de hasard, que nous nous rencontrons enfin.
Yasmina Khadra s'essaie ici au conte philosophique, genre que je ne déteste particulièrement, mais qui me laisse pourtant des impressions de ratages. Je pense à L'Alchimiste de Paulo Coelho, qui m'avait laissé pantois d'incompréhension devant le succès et l'éventuel intérêt de l'oeuvre. Et je n'ose évoquer ici ma découverte de La Prophétie des Andes de James Redfield. Bref, même si ce roman peut revêtir des étiquettes qui ne m'inspirent guère, il n'es reste pas moins un roman fort, autant dans son atmosphère, ses décors ou ses personnages.
L'auteur installe sa communauté de clochards dans un univers à la limite du fantastique, post-apocalyptique à la façon de Mad Max, coincé entre une ville lointaine et sublimée en grande avaleuse d'âmes perdues, une décharge publique sous des airs de bas-fonds urbains et la mer, seule échappatoire à la pestilence et à la misère, mais ultime limite du monde humain. C'est dans cet espace confiné que l'on découvre ces sans-abris, qui ont ici élu domicile car la société les a rejetés (ou inversement). Ils ont perdu leur identité officielle pour s'en recréer une autre (chacun porte un sobriquet). Ce sont des hommes abusés et désabusés, qui ne croient plus en ce que le monde, tel qu'il est conçu aujourd'hui, a à leur offrir. Ils sont revenus à un état de vie, sinon primitif, au moins simple, retrouvant les codes qui régissent un univers enfantin. Certains se regroupent en bande sous la houlette du plus fort, d'autres s'éloignent pour savourer leurs plaisirs individuels. Mais cet état non naturel leur rappelle quelques fois qu'ils sont des hommes, et ressurgit alors leur désarroi face à leur condition.
Parmi ceux-ci, le duo Ach/Junior apparaît comme le plus attachant. Il est difficile de comprendre le rapport qui rapproche les deux hommes, si ce n'est leur peur viscérale de la solitude. Sont-ils vraiment attachés l'un à l'autre, ou sont-ils incapables de voir l'autre partir pour ne pas sombrer dans la folie? Ce roman traite avec justesse, émotion et complexité des rapports humains, d'autant plus forts en parallèle à une situation extrême comme la leur. Loin de tout manichéisme, Khadra nous dépeint deux êtres ambivalents, Junior n'étant pas que le benêt que tout le monde semble voir en lui, et Ach la force de la nature qu'il s'évertue à présenter. Les personnages secondaires, derrière leur fonction dans la communauté qui n'est autre qu'un repère pour encore exister, camouflent leurs blessures derrière un silence ou une attitude ostentatoires.
La prose de Yasmina Khadra est un tourbillon, oscillant entre la poésie et l'argot. Ses personnages et ses décors hantent l'esprit du lecteur bien après la lecture, nous offrant une aventure extraordinaire dans un quotidien que nous chercherions tous à fuir.
Premières lignes :
- Regarde pas!
Junior sursaute en pivotant sur ses talons.
Ach le Borgne se tient derrière lui, debout sur un amas de détritus, les poings sur les hanches, outré. Sa grosse barbe s'effrange dans le souffle de la brise.
Junior baisse la tête à la manière d'un galopin pris en faute. D'un doigt désemparé, il se gratte le sommet du crâne.
- J'sais pas comment j'ai échoué ici.
- Ah! oui...
- C'est la vérité, Ach. J'étais en train de me faire du souci en marchant et j'sais pas comment j'ai échoué par ici.
- Menteur! frémit Ach de la tête aux pieds. Tu n'es qu'un fieffé menteur, Junior. Tu mettrais ta langue dans de l'eau bénite qu'elle sentirait le caniveau.
- Je t'assure...
- T'as rien à dire. Quand on est fait comme un rat, on n'essaye pas de se débiner. C'est une question de dignité.