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La tête dans les pages
14 mai 2008

LE JOUEUR D'ÉCHECS (Schachnovelle)

Le_Joueur_d__checsRoman de Stefan Zweig (1943)
Livres de Stefan Zweig déjà lus : aucun

Quatrième de couverture :
Qui est cet inconnu capable d'en remontrer au grand Czentovic, le champion mondial des échecs, véritable prodige aussi fruste qu'antipathique? Peut-on croire, comme il l'affirme, qu'il n'a pas joué depuis plus de vingt ans? Voilà un mystère que les passagers oisifs de ce paquebot de luxe aimeraient bien percer.
Le narrateur y parviendra. Les circonstances dans lesquelles l'inconnu a acquis cette science sont terribles. Elles nous reportent aux expérimentations nazies sur les effets de l'isolement absolu, lorsque, aux frontières de la folie, entre deux interrogatoires, le cerveau humain parvient à déployer ses facultés les plus étranges.

Mon avis :
Rien ne me prédisposait à lire un jour Le Joueur d'échecs. Depuis des années, le simple nom de Stefan Zweig me fait peur. Allez savoir pourquoi. Les consonnances allemandes, sans doute. J'avais les mêmes réticences à lire Arthur Schnitzler avant de me plonger dans Mademoiselle Else. Et puis je dois avouer que les échecs, je n'y ai jamais compris grand-chose, et ça ne m'intéresse pas plus que ça. Et pourtant, bien mal m'en a pris d'attendre aussi longtemps avant de découvrir ce petit roman puissant.
Car les échecs sont avant tout, ici, une métaphore à plusieurs facettes. Le protagoniste, au départ, n'est pas un fan de ce jeu. C'est avant tout un amoureux de la littérature et des mots. Et c'est d'un livre dont il a besoin pour survivre à la folie qui le guette, lorsque, enfermé dans les geôles nazies, il se retrouve en proie aux expérimentations douteuses que les Allemands exercent pour constater les effets néfastes de l'enfermement et de l'isolement. M. B..., un intellectuel anonyme et notaire de son état, est la cible rêvée pour ce genre de pratiques. Le seul livre qu'il arrivera à voler à sesStefan_Zweig tortionnaires sera un manuel du jeu d'échecs. Ce jeu deviendra pour lui une échappatoire à la démence, le seul lien qui lui restera avec le monde extérieur. Il passe des journées et des nuits entières à jouer mentalement aux échecs, explorant toutes les combinaisons et les techniques imaginables. Les échecs deviennent un cri de résistance face à l'aliénation nazie et son embrigadement bêtifiant. Mais une fois dehors, les pions et le damier restent ancrés dans l'esprit du personnage comme le traumatisme de toute une génération. Son échappatoire est devenue une addiction, une autre forme d'aliénation. Quand il a enfin l'occasion de jouer aux échecs "en vrai", notre notaire ne résiste pas à ses pulsions et défie ainsi le champion du monde. À ce titre, les échecs deviennent un symbole de la force humaine, celle qui nous aide à tenir moralement, mais également celle que l'on ne peut s'empêcher d'exercer sur les autres. Le pouvoir de l'espoir qui se transforme en haine, la victime qui devient bourreau.
Ce roman, dont les thèmes reflétaient l'angoisse dans laquelle vivait l'Europe de l'époque, est également un petit bijou de construction. De la mise en abyme des récits enchâssés les uns dans les autres, au départ trompeur qui amène le lecteur à s'intéresser d'abord à la biographie d'un autre joueur d'échecs, en passant par le duel autour de l'échiquier monté en climax (duel se passant sur un paquebot qui laisse fortement à penser qu'Alessandro Baricco s'en est inspiré pour son roman Novecento : pianiste), tout tend à mythifier la vie d'un homme qui restera à jamais dans l'anonymat, comme si toutes les victimes du nazisme méritaient que leur histoire soit écrite à la dimension de l'Histoire, avec un grand H. Car les échecs, c'est également ce traumatisme commun que toutes les victimes portent en elles.

Elles en parlent aussi : Amanda Catherine de Biblioblog Jules Lilly

Premières lignes :
Sur le grand paquebot qui à minuit devait quitter New York à destination de Buesnos-Aires, régnait le va-et-vient habituel du dernier moment. Les passagers embarquaient, escortés d'une foule d'amis ; des porteurs de télégrammes, la casquette sur l'oreille, jetaient des noms à travers les salons ; on amenait des malles et des fleurs, des enfants curieux couraient du haut en bas du navire, pendant que l'orchestre accompagnait imperturbablement ce grand spectacle, sur le pont. Un peu à l'écart du mouvement, je m'entretenais avec un ami, sur le pont-promenade, lorsque deux ou trois éclairs jaillirent tout près de nous - apparemment, un personnage de marque que les reporters interviewaient et photographiaient encore, juste avant le départ. Mon compagnon regarda dans cette direction et sourit : "Vous avez à bord un oiseau rare : Czentovic." Et, comme je n'avais pas vraiment l'air de comprendre ce qu'il voulait dire, il ajouta en guise d'explication : "Mirko Czentovic, le champion mondial des échecs. Il a traversé les Etats-Unis d'est en ouest, sortant vainqueur de tous les tournois, et maintenant il s'en va cueillir de nouveaux lauriers en Argentine."


Schachnovelle_DVD_D_1_215Ce roman a été adapté au cinéma par Gerd Oswald en 1960, sous le titre Le Joueur d'échecs, avec dans les rôles principaux Curd Jürgens, Claire Bloom et Hansjörg Felmy.

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Commentaires
G
Je vais aller voir ça de plus près!
B
Bonjour Gaël je te laisse un lien vers mon article sur ce livre si cela t'intéresse<br /> http://pragmatisme.over-blog.fr/article-romans-et-nouvelles-i-7-stephan-zweig-46721802.html<br /> Mais j'en ai écrit plein d'autres sur Zweig également A bientôt et merci de tes commentaires lorsque tu passeras me voir
G
Je t'en prie, fais-toi plaisir! :-D<br /> Je vais en faire de même avec ton blog. Ca fait toujours plaisir de voir que mes articles trouvent un écho, quel qu'il soit.
B
je ne l'ai pas encore lu mais ça ne devrait pas tarder j'ai beaucoup aimé La peur, lettre d'une inconnue ou encore la collection invisible Ton article sur ce livre m'a bien plus m'autorises tu à faire figurer ton blog dans ma blogothèque ? Bonne journée à toi et à bientôt
G
Je te souhaite un beau moment de lecture. Ce roman est vraiment très prenant!
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